C’est quoi ?
Et si on donnait une seconde vie au béton ?
Le béton, c’est un peu le pain quotidien du secteur du bâtiment. On en trouve partout : dans nos maisons, nos routes, nos ponts, nos écoles… Mais ce matériau ultra-pratique cache un revers moins reluisant : c’est aussi l’un des plus gourmands en ressources naturelles et en énergie. Résultat, il pèse lourd dans l’empreinte carbone du secteur de la construction.
Et pourtant, une partie de ce béton pourrait vivre une seconde vie. Car oui, on peut recycler le béton, et pas seulement pour faire du remblai ou de la sous-couche routière. Il est possible – dans certains cas bien encadrés – de réintégrer les granulats issus de béton démoli dans de nouveaux bétons. Une pratique qui gagne du terrain, surtout dans un contexte où l’économie circulaire n’est plus une option, mais une nécessité.
Alors où en est-on aujourd’hui ? Quelles sont les normes qui encadrent cette pratique en France et en Europe ? Et surtout, quelles sont les limites et les perspectives pour un matériau aussi central que le béton ? C’est ce qu’on vous propose de découvrir dans cet article.
Le recyclage du béton : principes et techniques
Recycler le béton, ce n’est pas simplement casser du vieux et jeter les gravats dans un coin. C’est une vraie démarche technique qui demande méthode, équipements adaptés, et un minimum de bon sens environnemental. Alors, concrètement, comment ça marche ?
🧱 1- D’où vient le béton à recycler ?
La matière première, ce sont les bétons issus de la déconstruction : bâtiments démolis, dalles, fondations, bordures, éléments préfabriqués… Autrement dit, tout ce qui a été coulé puis oublié dans le paysage urbain ou industriel.
Mais attention, tous les déchets de chantier ne sont pas bons à recycler dans le béton. On distingue plusieurs types :
- Déchets inertes à base exclusivement de béton (les plus recherchés),
- Déchets mixtes (béton + brique + bitume, etc.),
- Gravats souillés ou non triés, beaucoup plus difficiles à valoriser.
Le tri en amont est donc crucial : plus c’est propre, plus c’est réutilisable.
⚙️ 2- Les grandes étapes du recyclage
Une fois les bétons collectés, voici les grandes étapes de leur transformation en granulats recyclés :
- Concassage : Le béton est broyé à l’aide de concasseurs pour obtenir des granulométries comparables à celles des granulats naturels.
- Criblage : On trie les matériaux par taille (sables, gravillons, cailloux).
- Déferraillage : Les armatures métalliques sont séparées à l’aide d’aimants.
- Tamisage & contrôle : On vérifie la composition, la propreté, la teneur en fines, etc.
- Stockage : Les granulats recyclés sont classés par type et stockés pour un usage futur.
Certains centres de traitement vont encore plus loin avec des techniques de lavage, de séparation par densité ou même de traitements chimiques pour améliorer la qualité des granulats recyclés.
🔍 3- Granulats recyclés : de quoi parle-t-on exactement ?
Les granulats recyclés ne sont pas tous égaux. La norme les classe notamment selon leur origine :
- Granulats recyclés de type 1 (Beton Recyclé Pur) : issus exclusivement de béton durci. C’est le “haut de gamme” du recyclé, utilisable parfois en béton structurel.
- Granulats de type 2 ou 3 : mélanges contenant brique, asphalte, céramique, etc. → réservés à des usages moins exigeants.
Leur qualité dépend de plusieurs facteurs :
- Porosité : souvent plus élevée que les granulats naturels, ce qui peut poser des soucis d’absorption d’eau.
- Forme : plus anguleuse, moins roulée.
- Résistance mécanique : variable selon la source et le traitement.
🛠️ 4- Comment les utiliser dans du béton neuf ?
On peut substituer partiellement les granulats naturels (sable, gravier) par des granulats recyclés dans la formulation d’un nouveau béton. En général :
- Jusqu’à 30 % de substitution pour les granulats de qualité 1,
- Parfois plus pour des usages non structurels (blocs, bordures, massifs, etc.),
- Très encadré pour les bétons armés ou exposés à des environnements agressifs.
Les centrales à béton doivent ajuster les dosages en eau et en liant, car les granulats recyclés absorbent plus d’eau et peuvent légèrement modifier les propriétés du béton.
Cadre normatif et réglementaire
Quand on parle de recycler du béton dans la construction, on ne peut pas faire n’importe quoi. On est dans un secteur où la sécurité structurelle est primordiale, donc les matériaux doivent répondre à des règles très strictes. Heureusement, il existe aujourd’hui tout un cadre normatif — à la fois européen et français — qui permet d’encadrer et de sécuriser l’usage de granulats recyclés dans les bétons.
📏 Les normes qui encadrent l’utilisation des granulats recyclés
La norme de référence pour le béton, c’est la NF EN 206, complétée par son annexe nationale (le “CN” pour « Complément National »). Elle définit les grandes lignes pour fabriquer un béton conforme : performances mécaniques, durabilité, conditions d’exposition, etc. Ce texte autorise l’incorporation de granulats recyclés, mais de façon mesurée et encadrée. Par exemple, il n’est pas question de remplacer 100 % des gravillons d’un béton armé sans s’assurer de leur qualité.
À côté de ça, on trouve aussi la norme NF EN 12620, qui s’intéresse plus spécifiquement aux granulats destinés à entrer dans la composition du béton. Elle donne les critères que ces matériaux doivent respecter : taille des grains, propreté, résistance, teneur en sulfates, et autres paramètres techniques. Autant dire qu’un gravat poussiéreux et mal trié n’a aucune chance de passer la rampe.
🏛️ Une réglementation nationale qui évolue
En France, la question du recyclage des matériaux de construction s’inscrit dans une dynamique plus large, portée par les politiques environnementales. La RE2020, qui a remplacé la RT2012, pousse les acteurs du bâtiment à réduire leur empreinte carbone. Cela passe entre autres par une meilleure gestion des matériaux et par l’usage de ressources secondaires comme les granulats recyclés.
Dans cette même logique, la REP Bâtiment (Responsabilité Élargie du Producteur), mise en place en 2023, change la donne. Désormais, les fabricants et distributeurs de produits du bâtiment sont responsables de la fin de vie de leurs matériaux. Cela pousse les maîtres d’ouvrage et les entreprises à mieux trier, mieux déconstruire, et à privilégier les filières de réemploi et de recyclage. Le béton recyclé entre donc tout naturellement dans cette nouvelle vision plus circulaire du bâtiment.
⚖️ Et en Europe ?
À l’échelle européenne, la dynamique est similaire. Le recyclage des déchets de construction et de démolition fait partie des objectifs de la directive-cadre sur les déchets. L’Union européenne encourage les États membres à atteindre au moins 70 % de valorisation des déchets du BTP. Certains pays, comme les Pays-Bas ou la Suisse, sont même en avance, avec des filières bien organisées et une utilisation beaucoup plus fréquente des granulats recyclés dans le béton neuf.
Applications en construction
Recycler le béton, c’est bien. Savoir où et comment l’utiliser, c’est encore mieux. Aujourd’hui, les granulats recyclés issus de bétons démolis trouvent de plus en plus leur place dans les projets de construction — mais pas encore partout, ni dans n’importe quelles conditions.
🧱 Bétons non structurels : le terrain de jeu idéal
Dans les usages les plus classiques, on retrouve les bétons dits “non structurels”, c’est-à-dire ceux qui ne supportent pas directement des charges importantes. C’est le cas des blocs béton pour murs de clôture, des bordures de trottoir, des chaussées en béton maigre, des dalles de propreté, ou encore des semelles de fondation peu sollicitées.
Ces applications sont souvent les premières visées lorsqu’on souhaite intégrer des granulats recyclés, car elles demandent moins de garanties techniques. C’est aussi un bon terrain pour expérimenter, ajuster les formulations et se familiariser avec ce type de matériaux sans prendre trop de risques sur la structure du bâtiment.
🛤️ Travaux publics et voirie : un débouché historique
Là où le béton recyclé a déjà fait ses preuves depuis longtemps, c’est dans les travaux publics, en particulier pour les couches de forme, les fondations de chaussées ou les remblais techniques. Les granulats recyclés y sont largement utilisés, car les exigences sont moins strictes qu’en bâtiment, tout en contribuant à un fort volume de valorisation.
Les plateformes de recyclage des matériaux de chantier sont d’ailleurs souvent dimensionnées pour fournir ce type de débouchés, plus faciles à écouler que le béton prêt à l’emploi structurel.
🏗️ Et pour les bétons structurels, c’est possible ?
Oui… mais avec précaution. L’intégration de granulats recyclés dans des bétons structurels (poteaux, poutres, planchers porteurs) est techniquement faisable, mais très encadrée. En France, la norme NF EN 206 impose des limites précises sur le type de granulats utilisés (il faut qu’ils soient issus exclusivement de béton), leur proportion maximale, et les conditions d’exposition du béton.
Aujourd’hui, on peut envisager des taux de substitution allant jusqu’à 30 % dans certains cas, voire un peu plus dans des contextes bien maîtrisés. Des projets pilotes ont même testé des bétons 100 % recyclés, mais cela reste expérimental. Les freins sont encore nombreux : manque de retour d’expérience, réticence des assureurs, prudence des bureaux d’études, etc.
Cela dit, les choses bougent. Des maîtres d’ouvrage publics ou engagés dans une démarche RSE forte commencent à demander explicitement des matériaux recyclés. Et des acteurs innovants du BTP montrent qu’avec un peu de volonté (et beaucoup de rigueur), on peut construire solide avec des matériaux de seconde main.
🧪 Des innovations prometteuses
La recherche avance vite sur le sujet. Certains laboratoires et entreprises travaillent à améliorer les performances des granulats recyclés : traitement de surface, enrobage, ajouts de liants spécifiques… D’autres explorent des formulations hybrides, qui combinent béton recyclé et ciment bas carbone.
Des solutions de traçabilité numérique, ou encore de “béton de site” recyclé à la volée, sont aussi en cours de test. Bref, le béton recyclé sort doucement de sa zone de confort pour viser des applications plus ambitieuses.
Enjeux et freins au développement
Le recyclage du béton a un potentiel énorme, tant en termes de réduction des déchets que d’impact environnemental. Cependant, plusieurs obstacles restent à surmonter pour que cette pratique devienne la norme dans le secteur de la construction.
🌱 Les enjeux environnementaux : un levier incontournable
L’un des principaux moteurs du recyclage du béton, c’est évidemment l’impact environnemental. Le secteur du BTP est l’un des plus polluants, notamment en termes de production de matériaux. Le béton, en particulier, est responsable de près de 8 % des émissions mondiales de CO2. Utiliser des granulats recyclés permet de limiter l’exploitation des carrières, de réduire la consommation de ressources naturelles, et donc de faire un pas de plus vers la transition écologique.
Mais ce n’est pas tout. Le recyclage du béton contribue également à réduire la quantité de déchets générés par la démolition des bâtiments, une autre problématique environnementale majeure. Selon l’ADEME, les déchets de chantier représentent près de 30 % du total des déchets en France, et beaucoup de ces matériaux sont encore envoyés en décharge. En recyclant le béton, on ferme la boucle de l’économie circulaire, ce qui est un véritable atout pour l’avenir.
⚙️ Les enjeux techniques : garantir la qualité et la durabilité
Côté technique, le recyclage du béton n’est pas sans défis. L’un des principaux obstacles reste la qualité des granulats recyclés. Si le béton est bien trié et que le processus de recyclage est correctement réalisé, les granulats recyclés peuvent être de bonne qualité. Mais, dans la réalité des chantiers, la séparation des matériaux n’est pas toujours parfaite. Parfois, le béton recyclé peut contenir des impuretés (plâtre, verre, plastique, etc.), ce qui nuit à la qualité des granulats produits.
Autre frein majeur : les performances. Les granulats recyclés peuvent être plus poreux et moins résistants que les granulats naturels. Cela peut affecter les caractéristiques du béton (résistance mécanique, durabilité) et rendre leur utilisation dans des applications structurelles plus complexe. Heureusement, des innovations en matière de traitement des granulats (lavage, ajout de liants spéciaux, etc.) commencent à faire évoluer les choses, mais cela reste un domaine où les recherches sont en cours.
💡 Les enjeux économiques : un coût parfois plus élevé
Si le recyclage du béton est une solution économiquement intéressante à long terme, la réalité des coûts n’est pas toujours aussi simple. Le coût du recyclage reste un frein pour certains acteurs. Même si l’utilisation de granulats recyclés permet de réduire l’exploitation de ressources naturelles, leur production et leur traitement peuvent être coûteux. D’une part, il faut investir dans des équipements de qualité (concasseurs, cribleurs, séparateurs), d’autre part, les granulats recyclés nécessitent souvent des tests supplémentaires pour garantir leur qualité.
En outre, le marché du béton recyclé reste encore moins compétitif que celui des granulats naturels. Les producteurs de béton préfèrent parfois se tourner vers des solutions moins risquées et plus accessibles, notamment à cause des coûts supplémentaires liés au recyclage et à la certification des matériaux.
🏗️ Les freins réglementaires et normatifs : un cadre encore trop rigide
Côté réglementation, même si des avancées ont été réalisées, certains freins existent encore. Les normes, par exemple, sont souvent perçues comme trop rigides. Si des textes comme la NF EN 206 et la NF EN 12620 autorisent l’utilisation de granulats recyclés, elles imposent également des critères stricts en matière de qualité et de performance. Les taux de substitution des granulats naturels par des granulats recyclés restent souvent faibles, limitant leur utilisation dans les projets les plus ambitieux, notamment ceux qui impliquent des bétons structurels.
Les certifications et les démarches administratives associées peuvent également représenter une lourdeur supplémentaire pour les entreprises. La traçabilité des matériaux, exigée par des textes comme la RE2020 ou la REP Bâtiment, nécessite une organisation précise et souvent coûteuse. Et si le béton recyclé devient de plus en plus courant, beaucoup de maîtres d’ouvrage restent encore réticents à l’adopter dans des structures complexes, de peur que les matériaux ne respectent pas les critères stricts de sécurité.
🏁 Les freins culturels : changer de mentalité
L’un des plus grands défis dans le recyclage du béton, c’est de faire évoluer la mentalité des acteurs du secteur. Depuis des décennies, le BTP s’est habitué à utiliser des matériaux neufs, considérés comme plus sûrs et plus performants. Le béton recyclé, malgré ses avantages écologiques évidents, souffre encore de l’image du « matériau de deuxième choix ». C’est un peu comme si l’on pensait que ce qui est recyclé ne pouvait pas être aussi bon que du neuf. Un biais cognitif bien connu : l’effet de nouveauté, qui nous fait penser que ce qui est neuf est nécessairement meilleur.
Ce biais, ça peut être un vrai frein à l’adoption du béton recyclé, surtout pour les maîtres d’ouvrage et les architectes habitués à des matériaux traditionnels, « prouvés » et fiables. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’on peut changer ça ! Pour ça, il va falloir rééduquer les mentalités et montrer que le béton recyclé peut être tout aussi performant, voire plus durable, que le béton classique.
Une des solutions pour briser ce blocage, c’est d’utiliser des outils pédagogiques interactifs, comme des serious games. Par exemple, le jeu « Mission RSE : un futur responsable« peut jouer un rôle clé. En immergeant les joueurs dans des scénarios où ils doivent prendre des décisions concrètes sur la gestion des ressources et la construction responsable, le jeu permet de déconstruire des idées reçues sur le recyclage. Il aide à comprendre les enjeux environnementaux tout en mettant en lumière les avantages du béton recyclé d’une manière engageante. Grâce à des mécanismes ludiques, ce type de jeu peut chasser les biais cognitifs et permettre aux acteurs du secteur de prendre conscience des bénéfices réels du recyclage, au-delà des idées préconçues.
”Le béton recyclé n'est pas seulement un choix responsable, c'est une opportunité de réinventer le design de demain en alliant performance, durabilité et innovation – il est temps de voir le potentiel dans ce qui semble déjà être un passé construit.
Pierre-Yves HuanCEO - design9